L’ara de Spix (re)volera-t-il plus tôt que prévu dans la nature ? Envisagées par le plan d’action pour la sauvegarde de l’espèce à l’horizon 2021, les premières réintroductions pourraient être tentées à plus brève échéance. En effet, selon le quotidien brésilien O Estado de S. Paulo, le cap des 150 oiseaux maintenus en captivité - préalable à tout relâcher - sera vraisemblablement atteint d’ici à deux ans (*). Officiellement, l’ara de Spix (Cyanopsitta spixii) est considéré« en danger critique d’extinction » par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), mais les spécialistes l’estiment éteint à l’état sauvage.
D’après le magazine numérique Parrots Daily News, les naissances d’aras de Spix ont dépassé les espérances et la population captive atteint aujourd’hui 127 individus. Vingt oisillons ont éclos en 2015. Seize ont vu le jour à l'Al Wabra Wildlife Preservation, institution située dans le désert du Qatar, et quatre au centre d’élevage de l'Association pour la conservation des perroquets en voie d’extinction (Associationfor theConservation of Threatened Parrots e.V.) près de Berlin, en Allemagne.
À l’heure actuelle, 110 oiseaux participent au programme de sauvegarde du perroquet bleu rendu célèbre dans le monde entier par les films d’animation « Rio » et « Rio 2 ».
Ara de Spix adulte photographié au début des années 1980 au Parc ornithologique de Walsrode, en Allemagne (photo Rüdiger Stehn).
Succès de l’insémination artificielle
Dans le détail, 86 aras - 36 mâles et 50 femelles - sont détenus à l'Al Wabra Wildlife Preservation (AWWP). D’après le studbook international, ce dernier a acquis, entre 2000 et 2005, 44 oiseaux auprès d’éleveurs privés, en Suisse et aux Philippines. « Beaucoup d’entre eux étaient en mauvaise santé », assure le biologiste sud-africain Cromwell Purchase, directeur de l’institution qatarie. L’établissement de la péninsule arabique est parvenu à accroître de façon notable son nombre de pensionnaires notamment grâce à l’insémination artificielle. Jusqu’à présent, l’AWWP est le seul à maîtriser cette technique.
Pour Cristina Miyaki, chercheuse à l’institut de BioSciences de l’université de São Paulo et responsable du suivi génétique pour le plan d’action géré par l’État brésilien, le recours à l’insémination artificielle a constitué un étape majeure dans la sauvegarde de l’ara de Spix et a permis une croissance stable des effectifs.
Seuls quatre couples - deux au Qatar, un en Allemagne et le dernier au Brésil - se reproduiraient naturellement, le recours à l’insémination artificielle s’avérant nécessaire pour les autres. Ce procédé aurait concerné cinq des naissances enregistrées en 2015.
Spécimen naturalisé présenté au Muséum d'histoire naturelle de Berlin, en Allemagne (photo Daderot).
Confiance réciproque
Le spectre de la consanguinité plane en effet sur l’avenir de ce perroquet. La proximité génétique de plusieurs individus fondateurs expliquerait le faible taux de fécondité dont souffre la population captive.
En octobre dernier, lors de la réunion du comité consultatif du plan d’action au Qatar, un accord sur l’échange d’oiseaux a été conclu entre les autorités brésiliennes et l’AWWP, gage de la confiance mutuelle entre les deux parties. Malgré une coopération remontant à plusieurs années, aucun transfert n’avait eu lieu entre le Qatar et l’Amérique du Sud. «Des soupçons pesaient sur la viabilité du programme brésilien», admet Camile Lugarini, vétérinaire au centre national pour la recherche et la conservation des oiseaux sauvages (Cemave-ICMBio). Sous la tutelle du ministère de l’environnement, cet organisme coordonne les projets de réintroduction au Brésil.
Ara de Spix juvénile (photo Robert01).
Le 20 octobre 2015, deux femelles baptisées Mela et Yara ont quitté le Brésil pour le Qatar afin d’y être inséminées. En échange, six jours plus tard, Al Wabra a envoyé outre-Atlantique Amber et Rory, un couple âgé d’un an et demi. Celui-ci a rejoint un frère et une sœur - Carla et Tiago - arrivés début mars d’Allemagne (lire http://biofaune.canalblog.com/archives/2015/03/04/31641271.html) et un troisième couple - Andrea et Saoud - né sur place en octobre 2014. Les trois paires représentant des lignées différentes, les chercheurs espèrent que ces oiseaux s’apparieront et enrichiront la diversité génétique de la population captive.
Secret suisse…
Les centres allemand de l’ACTP et brésilien de NEST à Avaré abritent chacun 12 oiseaux, en l’occurrence 7 mâles et 5 femelles outre-Rhin et 5 mâles et 7 femelles en Amérique latine. Les oiseaux hébergés dans l'État de São Paulo devaient rejoindre d’ici la fin de l’année 2015 un nouveau centre placé sous la responsabilité du vétérinaire Marcus Vinícius Romero Marques et installé dans une ferme du Minas Gerais, au sud-est du pays. Pour des raisons de sécurité, le projet prévoyait de maintenir les précieux aras dans deux endroits différents, mais finalement NEST ne devrait conserver aucun perroquet.
Dessin d’un ara de Spix adulte réalisé en 1878 par l’illustrateur naturaliste néerlandais Joseph Smit (1836-1929).
Enfin, 17 autres psittacidés se trouvent chez des éleveurs privés suisses, lesquels refusent les revendications du gouvernement brésilien concernant « leurs » oiseaux et restent très discrets sur le devenir de leurs protégés.
Par ailleurs, la fondation Loro Parque, pourtant co-fondatrice du programme de sauvegarde, se serait retirée du projet à la suite de la dégradation de ses rapports avec le gouvernement brésilien. Plus aucun ara de Spix n’est hébergé dans la station de La Vera, sur l’île espagnole de Tenerife.
Sur les terres de « Blue »
D’après l’article mis en ligne sur le site Parrots Daily News, les responsables des trois centres d’élevage œuvrent de concert au retour de l’espèce dans son milieu. En 2016, ils devraient s’engager dans la construction d’un nouveau site dans l’État de Bahia, sur la côte atlantique du Brésil. Semblable à ceux du Qatar et de la banlieue berlinoise, il accueillerait ses premiers hôtes dès l’année prochaine et serait érigé près de la ville de Curaçá, là où vivait le dernier ara de Spix sauvage connu.
Couple d’aras d’Illiger dans un trou d’arbre photographié en 2009 dans l’État du Pará, au nord du Brésil (photo Sidnei Dantas).
Identifié en juillet 1990, ce mâle s’était apparié avec une femelle ara d'Illiger (Primolius maracana), une espèce classée « quasi menacée » par l’UICN. Le 17 mars 1995, une femelle ara de Spix fut relâchée. La tentative de former un couple échoua, la femelle ayant disparu sept semaines après son relâcher, sans doute victime d’une collision avec une ligne électrique. En janvier 2000, le mâle était encore observé avec la femelle d’Illiger avant d’être aperçu une dernière fois en octobre de la même année. Sa disparition reste un mystère. Un gardien de troupeau aurait vu sa dépouille sous une ligne électrique mais, à en croire une rumeur locale, il aurait été capturé et vendu pour un demi-million de dollars.
Les aras d’Illiger comme cobayes
Le plan d’action prévoit de relâcher dans un premier temps des aras d’Illiger car les scientifiques souhaitent étudier le comportement d’individus nés en captivité au sein de la caatinga et de ses forêts épineuses (de la recherche de nourriture à la construction de nids, en passant par les stratégies face aux prédateurs comme les chouettes ou les faucons). Si ce test s’avérait concluant, la seconde étape concernerait la réintroduction conjointe d’aras d’Illiger et de Spix.
Écorégion établie par le Fonds mondial pour la nature (WWF) et appartenant au biome des déserts et brousses xériques du néotropique, la caatinga – ici à la saison des pluies - couvre le nord-est du Brésil. Son manteau végétal associe cactus, plantes épineuses et herbes dures adaptées à l'aridité (photo Allan Patrick).
L’une des préoccupations majeures concerne le risque de braconnage et la nécessité d’impliquer les communautés locales dans la sauvegarde des perroquets bleus. «Les habitants de Curaçá se sentent très concernés et attendent le retour des aras avec impatience », assure Pedro Develey, directeur scientifique de la Société pour la conservation des oiseaux du Brésil (SAVE Brasil).
Le gouvernement envisage aussi la création d’une nouvelle réserve de 440 km2. « Si elle voit le jour, nous transférerons davantage de perroquets au Brésil », promet Martin Guth, président et fondateur de l’ACTP.
Aucun parc zoologique français n’a, semble-t-il, jamais présenté d’ara de Spix.
Sources : O Estado de S. Paulo, Parrots Daily News, UICN, zootierliste.de
(*) En mars 2015, le responsable de la communication de l'institut Chico Mendes de conservation de la biodiversité (ICMBio, public) au Brésil évoquait cependant le seuil des 200 oiseaux captifs (lire http://biofaune.canalblog.com/archives/2015/03/04/31641271.html).