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Parc des félins : « La réintroduction ? Nous sommes au début de l’aventure ! » (1)

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Fin octobre 2015, BIOFAUNE s’est rendu au Parc des Félins à Lumigny-Nesles-Ormeaux (Seine-et-Marne) pour évoquer le relâché dans la nature, en Russie, d’une panthère de Perse née en captivité dans l’établissement.

Voici la première partie de l’interview réalisée à cette occasion.

Grégory Breton, tu es le directeur zoologique du Parc des félins. En juillet dernier, tu as coordonné le transfert d’une panthère née en Seine-et-Marne vers la Russie, afin qu’elle soit relâchée dans le Caucase russe.

Effectivement ! Simbad, un mâle né en 2013 dans notre établissement, a été sélectionné par le Programme d’élevage européen (EEP) pour être envoyé au centre de réhabilitation de Sotchi puis réintroduit dans la nature.

Le parc national de Sotchi est le deuxième parc national le plus vieux de Russie mais son centre d’élevage, créé en 2009, est assez récent. Situé en montagne dans un endroit isolé et très bien gardé, il dispose de grands enclos et d’autres plus petits. Une équipe surveille ses installations par caméra. Les animaux sont nourris par des systèmes automatiques, pour éviter tout contact avec l’homme.

CHAINE MONTAGNEUSE DU CAUCASE DANS LE PARC NATIONAL DE SOTCHI

La chaîne montagneuse du Caucase, dans le parc national russe de Sotchi. Créé le 5 mai 1983, ce dernier s’étend sur 1.937 km2 (photo © Grégory Breton).

Quelles étaient les nouvelles à l’approche de l’hiver russe ?

Trois mois plus tard, les nouvelles étaient très encourageantes puisque Simbad avait déjà chassé plusieurs proies sauvages. Il a tué des sangliers et il s’attaque maintenant à des cerfs. Il est actuellement maintenu dans un enclos d’un hectare divisé en différentes zones s’ouvrant et se fermant à distance. Tout se passe donc très bien.

Simbad a un excellent comportement. Il chasse à l’affût et possède l’instinct de saisie à la gorge ou au cou lui permettant de mettre à mort ses proies.

ENTREE DU CENTRE DE REPRODUCTION DE SOTCHI

Entrée du centre de reproduction de Sotchi (photo © Grégory Breton).

En quoi ce transfert a-t-il été une première mondiale, comme le Parc l’a annoncé ?

C’est tout simplement la première fois qu’un léopard né en captivité dans un parc zoologique européen est renvoyé dans le pays d’origine de ses aïeux pour être réintroduit dans le milieu naturel !

Présents en Afrique et en Asie, les léopards ne sont pas globalement menacés à l’état sauvage. En revanche, toutes les sous-espèces asiatiques, notamment la panthère de Perse, sont en danger.

La panthère ou léopard de Perse vit en Russie mais aussi en Iran, au Turkménistan, en Turquie et dans le Caucase, en Arménie et en Azerbaïdjan. Aujourd’hui, le seul endroit où cette sous-espèce n’est pas réellement menacée est l’Iran, qui abrite une population estimée entre 800 et 900 spécimens. En revanche, il ne subsiste pas plus d’une centaine de léopards dans l’ensemble des autres pays avec, par exemple, une dizaine voire une quinzaine de panthères en Turquie. Les dernières estimations mentionnaient la présence de moins de cinq animaux sauvages en Russie.

Pourquoi choisir des individus nés dans des zoos européens ?

Lorsque les Russes ont voulu réintroduire la panthère de Perse dans le Caucase, ils se sont initialement tournés vers l’Iran et les pays limitrophes. Ils ont alors découvert l’absence de suivi et de gestion des populations concernées. Or il est important de connaître l’origine des animaux et d’être sûr que ceux qui seront relâchés ne sont pas consanguins.

Au départ, le président Poutine avait obtenu par voie diplomatique un animal en Iran et un autre au Turkménistan. Ces léopards se sont reproduits mais les biologistes russes se sont rendu compte que le projet exigeait davantage d’individus fondateurs.

Ils se sont donc tournés vers l’Association européenne des zoos et aquariums (EAZA) dont dépend l’EEP du léopard de Perse. Celui-ci est géré par José Dias Ferreira, du zoo de Lisbonne, et bénéficie d’un suivi sérieux des pedigrees. Forte d’une centaine d’individus, la population captive européenne dispose d’une bonne diversité génétique.

Des négociations ont donc débuté entre le ministère russe des ressources naturelles et de la protection de l'environnement, l’EAZA et l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), et plus spécialement son groupe des spécialistes des félins. De nombreuses sommités ont travaillé en amont à ce transfert.

SIMBAD SUBADULTE

Simbad, subadulte, dans son enclos de Seine-et-Marne. Ses parents - Fatma et Édouard - sont nés respectivement le 17 juillet 2006 au zoo de Berlin et le 11 mars 2007 au ZooParc de Beauval (photo © Daniel Manganelli).

En octobre 2012, des panthères nées dans des zoos d’Europe de l’Ouest avaient déjà rejoint le Caucase.

Oui, le zoo de Lisbonne avait envoyé un premier couple mais, à la différence de Simbad, ces animaux venus du Portugal resteront dans la partie captive. Ils ne seront jamais relâchés.

Comment expliques-tu que le Parc des félins soit le premier établissement à se lancer dans un tel projet ?

Selon moi, le choix d’un animal né au Parc des félins tient à plusieurs facteurs.

Le premier est la taille de notre enclos. Avec ses 1.300 m2, c’est le plus grand d’Europe pour des léopards de Perse. Créateurs du Cerza et du Parc des félins, Patrick Jardin et son frère Thierry sont des directeurs ayant toujours voulu offrir de l’espace à leurs animaux. Derrière ce grillage, c’est la nature. Ici, les léopards se promènent, peuvent se camoufler, grimper à 20 ou 30 mètres de haut dans les arbres et y dormir.

Le deuxième élément concerne l’expérience du Parc des félins. L’établissement existe depuis maintenant 16 ans. Par notre travail, nous avons démontré qu’il était possible d’élever des animaux sereins au point d’avoir, dans un même enclos, la mère avec ses petits et leur père. Cela n’est pas toujours possible en captivitéà cause des lieux, de l’espace ou du tempérament des animaux. Nous y parvenons pour presque toutes les portées !

Simbad est un animal psychologiquement normal, sachant se comporter avec ses congénères. Il connaît les odeurs d’un mâle adulte dominant. Nous avons d’ailleurs retenu l’animal le plus craintif de la portée, le plus méfiant vis-à-vis de l’homme, celui qui se montrait le moins facilement aux visiteurs.

Autre élément important, des proies pénètrent naturellement nos enclos. Des pigeons, des canards s’y posent, quelques lapins et des petits rongeurs peuvent y entrer. Nos félins chassent. L’animal que nous avons confié aux Russes n’était pas complètement inexpérimenté dans ce domaine.

AEROPORT DE SOTCHI

À l’aéroport de Sotchi, lors du transfert de Simbad en juillet 2015 (photo © Grégory Breton).

Les félins du Parc ont donc déjà l’expérience de la prédation ?

L’instinct est bien présent, il ne disparaît pas. Nos félins ont donc une certaine technique et cela joue en leur faveur.

Enfin, un dernier facteur est la renommée du Parc, fruit du travail mené depuis son ouverture. Depuis très longtemps, j’ai des contacts au niveau mondial. J’ai supervisé plus de 400 transferts de félins, je siège dans différents comités et je gère le programme d’élevage des chats des sables.

Tout ce contexte favorable explique pourquoi nous avons été approchés pour cette première.

Normalement, à l’âge adulte, Simbad aurait du être transféré dans un autre établissement dans le cadre du programme d’élevage. Le fait que vous ayez reçu en retour un mâle ayant vu le jour en Russie de parents nés à l’état sauvage a-t-il pesé dans la décision du transfert ? C’est un individu très précieux génétiquement qui vous est arrivé ?

Tout à fait. Les décisions de transferts d’individus appartenant à des espèces menacées ne dépendent pas des parcs zoologiques mais se prennent à des échelons plus élevés.

Nous aurions très bien pu envoyer simplement « notre » léopard en Russie. Pourtant, à un moment donné de la discussion, il s’est avéré que le centre de réhabilitation - qui fait un peu de reproduction avec quelques animaux - hébergeait un jeune mâle, Grom. Concrètement, celui-ci prenait de la place et il fallait lui trouver une nouvelle destination. Les Russes ne pouvaient pas le relâcher dans la nature car il est trop imprégné.

Nous avons donc procédéà un échange. Maintenant, nous avons la responsabilité de mettre Grom en contact avec notre femelle pour reproduire cet animal génétiquement très important pour la population européenne. C’est vraiment super pour nous !

ARRIVEE DE SIMBAD A SOTCHI

Arrivée de Simbad au centre de Sotchi (photo © Grégory Breton).

Je suppose que toutes ces autorités dont l’aval était nécessaire au transfert ont exigé des garanties concernant la réintroduction de Simbad ?

Oui, tout à fait. Le projet ne concerne pas simplement Simbad ! Il s’agit d’un programme à plus grande échelle. Les échanges seront constants et les pourparlers se poursuivent. À la fin du mois de novembre 2015, tous les experts ayant pris part au transfert de Simbad se sont réunis pour débattre de la réintroduction des grands carnivores en Russie.

Un premier animal a quitté un parc zoologique européen pour son milieu d’origine et d’autres suivront le même chemin.

Des léopards de Perse ont-ils déjà recouvré la liberté ?

Pas encore mais c’est imminent. Les premiers relâchés sont prévus cette année et en 2017.

Les petits du couple venu de Lisbonne seront ainsi réintroduits dès 2016. Si tout se passe bien, et cela semble être le cas puisqu’il est déjà apte à chasser de grosses proies, Simbad sera relâché en 2017.

SALLE DE CONTROLE DU CENTRE DE SOTCHI

 Salle de contrôle du centre de Sotchi (photo © Grégory Breton).

D’autres parcs envisagent-ils de suivre votre exemple pour cette sous-espèce ?

Prochainement, non. Cela n’a pas été le cas l’an dernier et cela n’est pas envisagé pour 2016.

Un animal sera peut-être envoyé en Russie pour l’élevage mais pas pour un relâché. Le centre de Sotchi a des capacités d’accueil limitées et se concentre sur la réintroduction de Simbad et des animaux nés sur place.

PRE-ENCLOS DE SIMBAD A SOTCHI

Le pré-enclos de Simbad lors de son arrivée au centre de Sotchi (photo © Grégory Breton).

Pourquoi avoir choisi une panthère pour cette première ?

La décision vient des autorités russes ayant décidé de réintroduire cette sous-espèce et des gestionnaires du programme d’élevage européen. Si on nous contacte demain  pour participer à des relâchés de jaguars, de chats pêcheurs, de margays ou de chats du désert nés ici, nous jouerons le jeu de la même façon.

Maintenant, le caractère assez opportuniste du léopard et son comportement solitaire, craintif et très méfiant constituent autant d’atouts pour le succès du programme.

Enfin, tout simplement, la panthère de Perse est vraiment menacée à l’état sauvage.

Il faut féliciter le gouvernement russe qui a souhaité cette réintroduction. En France, le loup est revenu à l’état sauvage de façon naturelle et sa présence reste problématique. Une poignée d’ours survivent dans les Pyrénées. Les scientifiques souhaitent en réintroduire mais cela s’avère politiquement très compliqué. Quant au lynx, si sa situation est satisfaisante dans le Jura, il a de nouveau disparu des Vosges…

La réintroduction, ce n’est pas facile. Aux aspects zoologique et biologique s’ajoute une dimension géopolitique.

Le léopard de Perse est menacé mais la panthère de l’Amour (*) l’est encore davantage. Comment expliques-tu que cette première concerne cette sous-espèce et non celle de l’Amour vivant également en Russie ?

Il existe aussi un programme pour la panthère de l’Amour présente dans l’Extrême-Orient russe.

FATMA ET SIMBAD

Simbad et sa mère Fatma (photo © Mylène Pillière).

Ces programmes sont menés en parallèle ?

Exactement ! Le développement du projet pour la panthère de Perse à Sotchi ne signifie pas que rien n’est entrepris ailleurs pour la panthère de l’Amour.

Pour l’anecdote, le gouvernement russe, la société zoologique de Londres et d’autres organisations travaillent ensemble à la sauvegarde de la panthère de l’Amour. Ils suivent la cinquantaine d’animaux vivant encore à l’état sauvage et envisagent des relâchés depuis très longtemps.

La situation de la panthère de Perse a été abordée plus tard mais son programme a dépassé celui de sa congénère ! Une histoire de coïncidences où de multiples éléments entrent en ligne de compte.

Quoi qu’il en soit, ces deux programmes ne sont pas exclusifs l’un de l’autre.

À suivre…

(Propos recueillis par Philippe Aquilon)

(*) La panthère de Perse (Panthera pardus saxicolor) est classée « en danger d’extinction » par l’UICN. Celle de l’Amour (P. p. orientalis) est considérée comme « en danger critique d’extinction ».

Pour découvrir la première partie du résumé vidéo de cette interview :


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