Après l’incursion d’une lionne vendredi 12 février 2021 sur le parking d’un hôtel quatre étoiles puis dans des zones résidentielles de la ville de Junâgadh, le débat sur la relocalisation des grands félins vivant à l’extérieur du parc national et sanctuaire faunique de Gir a resurgi à la Une de la presse indienne. Selon le département des forêts de l’État du Gujarat, près de la moitié des lions d’Asie sauvages évoluent désormais en dehors de cette aire protégée de 1.153 km2 se trouvant à l’ouest de l’Inde.
En effet, la population vivant dans les forêts du Gujarat a augmenté de 29% entre 2015 et 2020, passant de 523 à 674 individus, malgré une épizootie de maladie de Carré ayant provoqué la mort de 36 spécimens en 2018. En 1968, l'Inde comptait seulement 177 lions survivant dans le milieu naturel.
Lions asiatiques s’accouplant dans le parc national de Gir (photoSumeet Moghe).
Le dernier recensement a eu vendredi 5 et samedi 6 juin 2020. Recourant à la méthode de comptage par blocs et à un logiciel de statistiques, il a mobilisé quelque 1.400 personnes et a utilisé la localisation par satellite, les marques d'identification individuelle ainsi que les données des colliers émetteurs. L’évaluation des effectifs de lions d’Asie a lieu tous les cinq ans. À la fin du printemps dernier, la population de ces emblématiques prédateurs s’élevait à 309 femelles, 206 mâles, 137 lionceaux et 22 individus non clairement identifiés.
Envoyés au zoo
Plusieurs voix s’élèvent aujourd’hui pour prôner le transfert d’une partie des félins évoluant hors du parc de Gir dans d’autres secteurs protégés. « Je crois souhaitable que les lions vivent dans des espaces forestiers plutôt qu’à proximité des zones urbaines, au risque de voir les conflits homme-faune s’intensifier », estime ainsi Priyvrat Gadhvi, membre du conseil d'État du Gujarat pour la faune sauvage. « Il est grand temps de songer au sanctuaire de Barda », renchérit Bhushan Pandya, membre du conseil national de la faune sauvage. « Le département des forêts devrait déplacer certains félins dans ce territoire apte à les accueillir. Il est préférable de transférer des lions à Barda plutôt qu’au zoo de Sakkarbaug ou que de les relâcher dans un endroit déjà surpeuplé. »
Selon la presse indienne, l’établissement situé dans la ville de Junagadh abriterait actuellement près de 90 lions d’Asie ! Jeudi 28 janvier dernier, huit félins capturés dans le district de Rajkot ont été envoyés dans ce zoo où ils sont toujours maintenus malgré les protestations des défenseurs de la faune sauvage. En effet, ces animaux (parmi lesquels sept juvéniles dont six femelles) n’ont attaqué aucun habitant et ne sont porteurs d’aucune maladie. Les autorités auraient décidé de leur capture à titre préventif, à l’approche d’élections locales…
Centre d’accueil du parc national et sanctuaire faunique de Gir (photo Dassharathsinh Bodana).
Le département des forêts de l’État du Gujarat espérait que les lions rejoindraient naturellement, au cours de leur dispersion, le sanctuaire de faune de Barda où leur présence était attestée jusqu’à la fin du XIXème siècle. Couvrant 192 km2 à une centaine de kilomètres à l’ouest du parc national de Gir, ce site dispose en effet d’une forte densité de proies potentielles – cerfs axis (Axis axis), sambars (Rusa unicolor) ou encore sangliers indiens (Sus scrofa cristatus) – notamment issus de centres d’élevage. Toutefois, le tracé d’une route nationale entrave les déplacements des lions, hésitant à traverser ce ruban de bitume. Par ailleurs, la présence de bovins à l’intérieur même du sanctuaire constitue une source de tensions potentielles en cas de retour des lions. Un transfert officiel de ces prédateurs nécessiterait de reloger quelque 400 familles maldhari, une communauté de bergers tribaux du Gujarat. Or cette question se semble pas d’actualité. «Pour le moment, nous n’envisageons pas de déplacer ces éleveurs », assure en substance D. T. Vasavada, conservateur en chef des forêts au Bureau de l'environnement du district de Junagadh. Un autre programme préconise le déplacement de lions vers une zone protégée de 109 km2 dans la forêt de Bhavnagar Amreli, à environ 100 km à l’est du parc de Gir.
Une affaire d’État
Initié dès 1993, le projet de la réintroduction de lions dans le Madhya Pradesh, au cœur du sous-continent, n’a jamais vu le jour, le Gujarat s’opposant à tout transfert de « ses » lions considérés comme un « trésor » d’État. La question du déplacement dans l’ancien sanctuaire faunique de Kuno – érigé au rang de parc national en 2018– est devenue un enjeu politique. Dès 2004, le gouvernement du Gujarat a ainsi refusé de se séparer des 19 félins prévus pour la relocalisation, le ministre d'État aux forêts de l'époque déclarant publiquement qu’« il n’était pas nécessaire de déplacer les lions de Gir et que les autorités du Gujarat assuraient leur survie sur place ».
Face cette opposition, le département des forêts du Madhya Pradesh a envisagé, en 2009, d’accueillir dans le sanctuaire de Kuno des lions asiatiques élevés dans des zoos. Là encore, le gouvernement du Gujarat a combattu cette suggestion, avançant plusieurs arguments dont l’absence d’une densité de proies suffisantes dans cette zone, l’inefficacité du Madhya Pradesh à protéger efficacement les tigres présents dans le parc national de Panna ou encore le projet de relâcher à Kuno des guépards africains, un dessein jugé incompatible avec la réintroduction de lions (lire http://biofaune.canalblog.com/archives/2020/01/29/37982898.html).
La position du Gujarat a subi un revers lorsque, le 15 avril 201, la Cour suprême d'Inde a estimé que le transfert vers Kuno relevait de l’intérêt supérieur des animaux. La plus haute juridiction du pays balayait les objections du gouvernement du Gujarat et ordonnait même que la relocalisation ait lieu dans un délai de six mois. Le 1er juillet 2013, le gouvernement du Gujarat demandait à la Cour suprême de revoir son arrêt, proposant en contrepartie la création d’une seconde aire protégée dédiée dans cet État frontalier du Pakistan. La réticence persistante des autorités du Gujarat à se séparer de quelques lions avait été alors très critiquée par certains écologistes.
La requête en révision contre le déplacement des lions sauvages de la forêt de Gir vers le Madhya Pradesh a été finalement été rejetée par la Cour suprême le 14 août 2014 mais, à ce jour, aucun transfert n’a eu lieu. Longtemps farouchement opposés au départ de lions vers la « province du Centre », des activistes du Gujarat défendent aujourd’hui cette solution, préférable à leurs yeux au maintien en captivité dans l'enceinte du zoo de Sakkarbaug.
Anatomiquement, le lion d’Asie se distingue par une poche de peau s’étendant sous le ventre jusqu'aux pattes postérieures. Ce gousset est rarement développé chez les lions africains. En outre, le crâne des lions persans présente des bulles tympaniques moins gonflées et un foramen infra-orbitaire plus souvent divisé (photo Impvjoshi).
Malgré les actuelles controverses taxonomiques, le lion d’Asie est toujours reconnu comme une sous-espèce à part entière (Panthera leo persica) par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Après avoir été considéré comme en « danger critique » entre 2000 et 2008, il est aujourd’hui classé« en danger ». En Europe, le programme d’élevage en captivité (EEP / « EAZA Ex situ Programmes ») de ce félin est géré, sous l’égide de l'association européenne des zoos et aquariums (EAZA), par le zoo d’Aalborg, au Danemark.
Selon le site Zootierliste, cette sous-espèce est visible dans presque une cinquantaine d’établissements du Vieux Continent. Elle est hébergée en France par le parc animalier du Pal (03), le Zooparc de Trégomeur (22), les zoos de Besançon (25), Montpellier (34), La-Boissière-du-Doré (44), Maubeuge (59), Lyon (69) et Mulhouse (68), ainsi que par le Parc des félins de Lumigny-Nesles-Ormeaux (77). Elle est maintenue en Suisse par le zoo de Zurich et, en Belgique, par celui de Planckendael.