Souvent présenté comme un « fossile vivant », le tapir terrestre (Tapirus terrestris) est parvenu àéchapper à l’extinction depuis son apparition voici quelque 50 millions d’années à l’Eocène. Pourtant, sa facultéà survivre à l’actuel Anthropocène – époque géologique dont le concept demeure controversé mais débutant selon certains chercheurs dans les années 1950 – s’avère incertaine.
Au Brésil, les dernières populations de tapirs de plaine se composent de petits groupes isolés au sein de quatre biomes : l’Amazonie, la Forêt atlantique (mata atlântica), le Pantanal et le Cerrado. En raison d’un cycle de reproduction très lent - la gestation dure environ 13 mois avec généralement un seul petit par portée – et de nombreuses menaces anthropiques comme la chasse, la destruction de son habitat ou les maladies infectieuses, l’espèce est désormais classée vulnérable, c’est-à-dire confrontée à un risque élevé d’extinction à l’état sauvage, par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
Tapir terrestre sauvage dans le Pantanal en août 2007 (photo Marco Zanferrari).
Deux populations scrutées au microscope
En 2008, des scientifiques soucieux de sauvegarder le tapir terrestre dans son habitat naturel ont fondé la « Lowland Tapir Conservation Initiative » afin de mener des recherches et d’établir des programmes de conservation dans les zones clés pour l’espèce. De 1996 à 2012, une étude a ainsi évalué l’état de santé des tapirs terrestres sauvages. Publiés en octobre 2014 dans The Journal of Wildlife Diseases, les résultats de ces travaux portant sur les populations de la Forêt atlantique et du Pantanal ont enrichi les connaissances relatives aux liens entre la santé des tapirs et leur environnement.
Les chercheurs ont dressé un bilan externe et interne de la condition des animaux, en inspectant leur peau ou en prélevant des échantillons sanguins, pour évaluer puis comparer leur état de santé au sein des deux environnements.
Vue aérienne du Pantanal, l'une des zones humides d'eau douce les plus vastes du monde (photo Alicia Yo).
Cochons sauvages et anticorps
Si les deux populations présentent un bon état de santé général, les analyses de sang ont cependant révélé des différences notables entre elles. L’une et l’autre possèdent des anticorps contre les cinq principaux virus, ceux de la fièvre catarrhale ovine, des encéphalomyélites équines de l'Est et de l’Ouest, de la rhinotrachéïte infectieuse bovine et de la parvovirose porcine. Pourtant ces anticorps sont plus fréquents chez les tapirs du Pantanal que chez leurs congénères de la Forêt atlantique. Pour les chercheurs, ce phénomène s’expliquerait par la présence de porcs sauvages vivant à proximité des tapirs du Pantanal. Descendant des cochons domestiques introduits dans la région voici deux siècles, ces suidés sont porteurs des agents pathogènes affectant le bétail.
Empreinte de tapir terrestre dans la Réserve biologique de Perobas, sanctuaire de la Forêt atlantique au nord-ouest de l’état fédéral du Paraná (photo Jarbas Yurasseck Junior).
En outre, les tapirs terrestres du Pantanal semblent davantage exposés à la leptospirose, une zoonose favorisée par un climat chaud, de fortes pluies et une eau stagnante. Selon les scientifiques, les inondations saisonnières de cette écorégion située dans le bassin du río Paraguay, dans l’ouest du Brésil, constituent un terrain favorable à la bactérie (Leptospira interrogans) responsable de la leptospirose.
Pour les chercheurs, les caractéristiques propres aux deux populations reflètent les différences environnementales entre le Pantanal et la Forêt atlantique. Ils suggèrent donc que les futures études sur la santé des tapirs adoptent une approche globale afin de mieux appréhender les relations entre les humains, la faune sauvage, le bétail et les agents pathogènes.
La baie d’Antonina et la Forêt atlantique depuis la chaîne montagneuse de la serra do Mar, dans l’état fédéral du Paraná (photo Deyvid Setti / Eloy Olindo Setti).
Les « paysagistes » de la forêt
Coordonnatrice de la « Lowland Tapir Conservation Initiative », Patricia Medici souhaite que les conclusions de cette étude « soient largement diffusées aux propriétaires fonciers et leur permettent ainsi d’améliorer la gestion de leurs élevages ». « Par ailleurs, les résultats de ces travaux seront déterminants pour la conception et la mise en œuvre des futurs programmes de réintroduction et de transfert », estime la biologiste brésilienne.
Jeune tapir terrestre en captivité en août 2013 au Centre d'Étude et de Reproduction Zoologique Augeron (CERZA) d’Hermival-les-Vaux, dans le Calvados (photo Ph. Aquilon).
La sauvegarde des tapirs revêt une importance particulière car ces ongulés sont considérés comme les « jardiniers de la forêt ». Ils ingèrent des graines en mangeant puis les dispersent par défécation lors de leurs longs déplacements. Les graines sont ainsi transportées sur de grandes distances. Consommant d’importantes quantités de nourriture, les tapirs se révèlent de précieux acteurs des écosystèmes en modifiant l'abondance et la diversité des espèces végétales au sein de leur environnement.
Les écologistes accordent d’ailleurs au tapir terrestre le statut d’« espèce parapluie », c’est-à-dire une espèce dont la protection assure celle des autres espèces appartenant au même écosystème.
Sources : mongabay.com, The Journal of Wildlife Diseases.