Le décès de Swati, une tigresse blanche gestante de six ans, survenu fin mai 2013 au Nehru Zoological Park d’Hyderabad (Inde) suscite la controverse parmi les acteurs locaux de la protection de la faune. En effet, l’établissement situé dans l’État de l'Andhra Pradesh, au sud du pays, a enregistré 33 décès de tigres au cours des 18 dernières années.
Selon Fazal Ali Adil, un expert ès tigres, « c’est énorme pour un tel établissement ». « Il y a eu des cas de négligence dans les zoos de l'État, provoquant des morts d’animaux», affirme-t-il. Certains spécialistes avancent que la chaleur régnant actuellement sur le sous-continent indien aurait provoqué la mort de la tigresse Sawi. Et de suggérer qu’une enquête approfondie soit menée pour déterminer les circonstances dans lesquelles plusieurs jeunes tigres blancs sont morts et, si nécessaire, pour envisager un transfert des félins vers des sites plus adaptés à leur élevage.
Tigre blanc du Bengale en captivité au Nehru Zoological Park d’Hyderabad en juillet 2012 (photo Rameshng).
De son côté, le directeur du zoo, M. Mallikarjun Rao, exclut toute négligence. « Les animaux arrivent chez nous à divers stades de leur vie et viennent d’endroits différents. Ces décès ont plusieurs raisons, mais jamais une quelconque négligence n’a provoqué la mort de ces félins», a-t-il déclaré au quotidien The Times of India.
En attendant les conclusions du rapport histopathologique, le personnel a placé les tigres blancs restants sous étroite observation. «Nous avons écarté l'hypothèse d’une origine alimentaire à la mort de Swati. Tous nos félins sont nourris de la même façon. Mais bien que la tigresse morte ait été isolée de nos autres pensionnaires, nos soigneurs sont à l’affût du moindre signe de maladie chez d'autres tigres », a précisé M. Shankaran, conservateur au Nehru Zoological Park.
Des données inquiétantes
Pour les vétérinaires ayant autopsié Swati, les organes vitaux de l'animal, comme la rate, le foie, les poumons et même certaines zones du cerveau présentaient des signes de congestion, indiquant un syndrome de défaillance multiviscérale (SDMV).
D’ailleurs, les autorités du zoo avancent une autre hypothèse. Sur les 33 décès, 17 concernaient des tigres blancs dont 7 étaient âgés de moins de huit ans. En revanche, seuls 2 jeunes figuraient parmi les 16 tigres orange morts. Les tigres blancs seraient donc plus fragiles et leur système immunitaire moins résistant : « Nos données démontrent que la durée de vie moyenne d'un tigre blanc au zoo atteint seulement 12 ans, alors que celle des tigres orange atteint 16 ans », relève M. Shankaran. Pour les responsables de l’établissement zoologique indien, les tigres blancs sont génétiquement davantage prédisposés aux maladies que leurs congénères orange.
Purs tigres du Bengale et hybrides
Cette (lointaine) polémique soulève la question de la présence -très controversée- des tigres blancs dans les institutions zoologiques et de l’éventuelle fragilité de ces grands félins.
À ce sujet, une précision s’impose. Si les individus présentés dans les zoos occidentaux sont aujourd’hui tous hybrides, les spécimens indiens appartiennent bien à la sous-espèce dite du Bengale (Panthera tigris tigris).
En 2008-2009, les zoos indiens auraient hébergé 264 tigres du Bengale « normaux » contre une centaine d’individus blancs de cette sous-espèce classée en danger, c’est-à-dire confrontée à un risque très élevé d’extinction à l’état sauvage, par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). L’OGN indienne Zoo Outreach Organisation a d’ailleurs publié en 1989 un studbook des tigres blancs du Bengale.
Au cœur des polémiques
En Amérique du Nord, le Programme américain pour les espèces menacées (Species Survival Plan ou SSP)placé sous l’égide de l’Association (américaine) des Zoos et Aquariums (AZA) a clairement condamné la reproduction des tigres blancs. Pourtant, de nombreux établissements présentent encore de tels félins. C’est également le cas en Europe et en France où les premiers spécimens, Gorby et Raïssa,furent importés des États-Unis en 1991 par le ZooParc de Beauval (Loir-et-Cher).
Gorby et Raïssa, les premiers tigres blancs « français » ont contribuéà la notoriété du ZooParc de Beauval. Gorby est mort au milieu des années 1990 d'une tumeur cérébrale tandis que Raïssa s’est éteinte en 2010 (Coll. personnelle).
Beaucoup le déplorent, voire le dénoncent : sauvegarder ces « aberrations génétiques » ne présente aucun intérêt puisque ces animaux n'existent pas dans la nature. Le quotidien Le Mondeévoquait même ce débat dans un article paru en juin 2012 et titré : « Faut-il interdire la reproduction du tigre blanc ? ».
D’autres défendent la présentation des tigres blancs hybrides au motif de la fascination que ces félins exercent sur le grand public, laquelle permettrait notamment de sensibiliser davantage de visiteurs au sort des autres espèces hébergées dans les institutions zoologiques.
Prédisposés à différentes maladies ?
Autre question soulevée par la récente affaire secouant les milieux zoologiques indiens, les tigres blancs sont-ils vraiment plus fragiles et plus exposés aux affections que les autres, notamment en raison d’un taux élevé de consanguinité ?
En 1987, Ed Maruska, alors directeur du zoo de Cincinnati (États-Unis), assurait n’avoir pas constaté de mort prématurée parmi les jeunes tigres blancs élevés dans l’établissement de l’Ohio. « Quarante-deux animaux sont nés chez nous et sont toujours vivants. Mohan, un grand tigre blanc, est mort à presque vingt ans, âge enviable pour un mâle de n'importe quelle sous-espèce […]. Sur cinquante-deux naissances, nous avons eu quatre morts-nés, dont un seul cas inexpliqué. Nous avons perdu deux autres petits suite à une pneumonie virale, ce qui ne paraît pas excessif. Sans données sur les lignées de tigres non consanguines, il est difficile de déterminer avec précision si ce nombre est élevé ou faible. »
Pourtant, les tigres blancs seraient bel et bien davantage exposés aux maladies, d’après une étude publiée en octobre 2010 dans la revue Zoo’s Print sous la plume de Deborah Marlene Warrick.
Plusieurs lignées captives
À propos de cette consanguinité, soulignons cependant que tous les tigres blancs captifs ne descendraient pas, contrairement à l’affirmation répandue, du célèbre Mohan, capturé fin mai 1951 à l’âge de 9 mois durant une partie de chasse du maharadjah de Rewa, en Inde. En effet, deux autres lignées existeraient.
En 1960, le National Zoo à Washington (États-Unis) fut le tout premier établissement zoologique hors d'Inde à présenter des tigres blancs avec l'arrivée d'une femelle baptisée Mohani. Elle appartenait à la première portée de tigres blancs nés en captivité, le 30 décembre 1958, de l'union de Mohan et sa fille Radha (photo DR).
L’une serait apparue en 1972 aux États-Unis avec, dès le départ, des individus hybrides Bengale x Sibérie. La seconde, concernant cette fois de purs tigres du Bengale, proviendrait du Nandankanan Zoological Park de Bhubaneswar, capitale de l’État indien d’Odisha, où trois jeunes spécimens blancs ont vu le jour en 1980. Leurs géniteurs, le mâle Deepak et sa fille Ganga, n’étaient pas apparentés à Mohan ni à aucun autre tigre blanc captif.
Mohan ne fut d’ailleurs pas le premier tigre blanc élevé en captivité. Le zoo de Calcutta hébergea un autre spécimen dans les années 1920. À cette époque, les tigres blancs n’auraient pas été rarissimes et un certain nombre de spécimens auraient été observés à l’état sauvage en Inde dans la première moitié du XXème siècle. Le Journal de la Société d’Histoire Naturelle de Bombay ferait état de 17 individus abattus entre 1907 et 1933.
Tête de bulldog et yeux qui louchent
Parmi les affections susceptibles de frapper les tigres blancs, certaines sont aisément repérables, voire « spectaculaires ».
Provoquée par un développement osseux incomplet du milieu de la face et de la partie supérieure de la mâchoire, la déformation de la tête affecte certains tigres blancs nord-américains, lesquels présentent alors une apparence de type bulldog. Affectant mâles comme femelles, cette malformation est liée aux cellules germinales primordiales. Toutefois, une mauvaise alimentation peut également engendrer certains de ces symptômes.
Tigre blanc présentant une face de type bulldog (photo LaWanna Mitchell).
Quant au strabisme, fréquent chez ces félins, il serait associéà l’allèle blanc et pas simplement provoqué par la consanguinité. Les anomalies de la transmission visuelle provoqueraient des troubles de l’orientation spatiale chez les tigres blancs qui se cognent aux objets les entourant jusqu’à ce qu’ils soient capables de compenser. Ce strabisme n’apparaît pas toujours à la naissance et peut se développer ultérieurement.
Les tigres blancs souffriraient aussi de photophobie à l’instar des animaux albinos.
Maladie de la vache folle
Les tigres blancs pourraient également être génétiquement plus sensibles que leurs congénères orange aux maladies provoqués par les prions comme l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) ou maladie de la vache folle. Entre 1970 et 1977, quatre individus ont ainsi succombéà cette maladie au zoo de Bristol (Angleterre). Hypothèse parfois envisagée, l’ingestion de viande contaminée ne serait pas à l’origine de ces morts puisque très peu de cas d’ESB ont été signalés parmi les tigres élevés en captivé au Royaume-Uni.
Zoo de Bristol : dans les années 1970, quatre tigres blancs du zoo anglais ont été victimes de la maladie dite de la vache folle (Coll. personnelle).
De même, les tigres blancs pourraient être davantage exposés au granulome éosinophile de la muqueuse buccale.
Deborah Marlene Warrick cite également un cas de régurgitation chronique, soigné par chirurgie, observé chez un tigre blanc de 4 mois. Une anomalie de l’anneau vasculaire fut diagnostiquée, malformation survenant lorsque les arcs aortiques IV et VI se développent anormalement durant l’embryogenèse. Une oesophagoscopie révéla un arc aortique droit comprimant l'œsophageencerclé de plusieurs adhérences fibreuses. Chez les canidés, cette malformation est connue pour son origine héréditaire. Au regard de la consanguinité des tigres blancs, une cause génétique n’est pas exclue.
Anesthésie sous haute surveillance
Des anomalies cardiaques, dont des persistances du canal artériel et des communications inter-auriculaires, ont aussi été observées chez des tigres blancs nouveaux nés.
Par ailleurs, un cas de hernie discale cervicale a été constaté en Afrique du Sud chez un mâle tigre blanc de 8 ans. Il s’agirait du premier cas relevé chez un tigre, cette hernie frappant généralement les chiens. Les anomalies congénitales fréquentes chez les tigres blancs pourraient en expliquer l’origine.
Tigre blanc (hybride) au ZooParc de Beauval en décembre 2010 (photo Ph. Aquilon).
Par ailleurs, si l’anesthésie d’un tigre reste toujours un acte délicat, cette opération s’avère plus risquée encore pour les tigres blancs car ils produisent une forme mutante de tyrosinase, l’enzyme responsable de la production de mélanine. La mélanine est en effet produite à partir de la tyrosine grâce à l’enzyme tyrosinase. La tyrosine est tout d’abord convertie en DOPA puis en dopaquinone. Les tigres blancs peuvent être sujets à un second effet sédatif 24 à 36 heures après l’anesthésie.
Troubles du comportement
Par ailleurs, la plupart des dresseurs estiment le tigre blanc plus dangereux que les tigres orange. Ceci serait en partie du à leur déficience visuelle (voir ci-dessus). En outre, la consanguinité engendrait une instabilité du comportement, comme constaté lors d’une étude chez le renard. Un caractère instable peut ainsi déclencher une crise d’agression ou de peur. Selon certains auteurs, la consanguinité pourrait aussi favoriser l’expression de cette tendance agressive.
Tigre blanc à l'hôtel The Mirage de Las Vegas (États-Unis) où, entre 1990 et 2003, les magiciens Siegfried & Roy ont présenté un spectacle de grande illusion avec des animaux sauvages. Le 3 octobre 2003, Montecore, un mâle tigre blanc de 7 ans, blessa très grièvement Roy Horn (photo Henning Schlottmann).
Au-delà des polémiques sur leur seule présence, la surmortalité des tigres blancs dans les zoos indiens et les études scientifiques sur les différentes affectations et malformations dont souffrent ces félins (hybrides ou purs tigres du Bengale) posent la question de leur avenir dans les institutions zoologiques. Or en Inde, pays qui héberge l’immense majorité des tigres du Bengale captifs et où plus d’un quart de ces animaux sont des spécimens blancs, le sujet revêt une certaine importance.
Sujet de thèse vétérinaire
Certes, avec quelque 260 individus, la pérennité de cette sous-espèce ex situ ne dépend pas du futur des individus blancs au sein des zoos indiens. Pourtant certains des tigres blancs du Bengale peuvent légitimement contribuer à la sauvegarde du tigre du Bengale puisqu’il semble avéré que des tigres blancs apparaissaient et survivaient jadis à l’état sauvage. Evidement, un tel choix nécessite un programme de reproduction sérieux et des croisements entre tigres blancs et orange dans le but d’élargir le patrimoine génétique des futures générations et non dans celui d’obtenir des spécimens blancs pour satisfaire les goûts du public.
Aussi serait-il intéressant que des travaux soient conduits en Europe sur une éventuelle corrélation entre consanguinité, allèle blanc et surmortalité chez les tigres blancs hybrides élevés sur le Vieux Continent. Au-delà d’un aspect purement scientifique, une telle recherche pourrait aussi servir la cause des tigres « normaux », du Bengale ou d’ailleurs…
Sources : WARRICK Deborah Marlene, « Inbreeding Depression in Captive White Tigers : Methods for Purifying Tiger Lineages», in Zoo's Print, volume XXV, n° 10, octobre 2010, The Times of India, AZA, site www.mad-cow.org, Le Monde, Wikipédia.